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Publié par Patrice Cardot

 

 

Messieurs les Premiers Ministres,

Mesdames, Messieurs,


Je vous remercie d’avoir accepté de faire partie de cette commission, qui réfléchira sur les priorités
d’investissement de notre pays en vue de l’emprunt national.

J’ai souhaité en inaugurer les travaux moi-même, à l’Élysée, car il n’est pas de mission plus difficile et plus importante que celle qui sera la vôtre durant les deux mois qui viennent.

Vos travaux orienteront l’utilisation d’un emprunt qui sera pour la Nation un engagement financier important mais indispensable. Depuis des années, notre pays n’a pas assez investi dans l’avenir. Il s’est laissé entraîner vers les dépenses du court terme au détriment de sa capacité à préparer le long terme. Dans la recherche difficile d’un meilleur équilibre de ses finances publiques il a trop souvent sacrifié l’investissement sans remettre suffisamment en cause les dépenses courantes. Il a trop négligé cette réalité que l’investissement fait la création de richesses de demain et par conséquent les recettes de demain. Jean MONNET, qui a inspiré la reconstruction si réussie de la France d’après guère, avait fait le constat que « les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise ». La nécessité est là, aujourd’hui, après la plus grave crise économique depuis la guerre, d’engager résolument les investissements stratégiques trop longtemps différés.

Il s’agit de définir des priorités stratégiques. Je dis bien des priorités stratégiques car nous ne pouvons tout faire et plus que tout autre j’ai conscience que notre dette ne peut s’alourdir qu’au profit de ce qui est vraiment essentiel pour l’avenir de notre pays. Pour cette mission, j’ai souhaité faire appel à deux hommes ayant l’expérience des plus hautes responsabilités gouvernementales, deux hommes d’un grand talent et d’une grande hauteur de vues, incarnant les deux grandes familles de pensée politique de notre pays. Je remercie beaucoup ces deux anciens Premiers ministres, Michel ROCARD et Alain JUPPE, d’avoir accepté de travailler ensemble à cette réflexion stratégique.

Je voudrais aussi les féliciter d’avoir rassemblé autour d’eux une commission aussi diverse par ses domaines d’expertise qu’homogène dans sa qualité. Ce rassemblement de scientifiques, d’industriels, d’économistes, de syndicalistes et d’universitaires de grand renom et d’horizons différents est pour moi le gage que vos travaux seront imprégnés d’une grande ouverture d’esprit et qu’aucune voie ne restera inexplorée.

Je vous demanderai à tous de projeter votre réflexion au-delà de l’horizon de la crise. Nous percevons aujourd’hui des signes encourageants, fruits d’une réaction massive et collective des gouvernements, à laquelle la France a pris plus que sa part. Mais les incertitudes sont encore trop grandes pour déclarer la fin de la crise, et il n’y aura au demeurant pour moi de fin de la crise que lorsque le chômage décroîtra à nouveau. Mais les signaux positifs nous appellent à penser dès à présent l’après-crise. J’ai orienté le plan de relance vers l’investissement, mais vers les investissements les plus rapides à réaliser dans l’urgence, pour soutenir la conjoncture. Votre réflexion doit maintenant se tourner vers les investissements les plus utiles dans une vision de long terme.

Depuis 2007, de grandes orientations ont déjà été définies, en particulier dans l’énergie et les transports, pour tourner notre pays vers la croissance verte. Les infrastructures de transport ont déjà fait l’objet d’une programmation ambitieuse à l’issue du Grenelle de l’environnement. Pour l’énergie, la programmation pluriannuelle présentée en juin au Parlement a déjà dessiné des perspectives très claires pour le développement des énergies renouvelables et la modernisation de notre parc nucléaire.

Mais notre pays a d’autres défis majeurs à relever pour l’avenir. Je vous en citerai trois, sans prétendre être exhaustif.

Le défi de l’économie de la connaissance, avant tout. Sur une planète mondialisée, sur une planète où les emplois non qualifiés sont l’objet d’une concurrence intense, un pays comme la France ne gardera son niveau de vie et sa cohésion sociale qu’en élevant son niveau général de qualification. Il ne devra sa richesse dans la durée qu’à un enseignement supérieur de haute qualité, fonctionnant en osmose avec la recherche, soucieux aussi bien de son excellence académique que de l’insertion professionnelle de ses diplômés. Le coeur de ce système, ce sont des écoles et surtout des universités que nous avons rénovées en profondeur. Elles doivent avoir les ressources propres qui seront le socle véritable de leur autonomie.

Le défi de la compétitivité de nos entreprises. Comment avons-nous pu en quelques années laisser baisser d’un quart notre part des exportations européennes ? Comment ne pouvons-nous n’avoir en France que 400 entreprises moyennes indépendantes qui innovent et exportent, soit quatre par département ? Nous travaillons depuis deux ans à soutenir massivement l’innovation avec le crédit impôt recherche, à réduire les charges sur la production, c'est-à-dire la taxe professionnelle, à trouver un nouveau financement des fonds propres avec le fléchage de l’ISF vers l’investissement dans les PME. Mais le renforcement des entreprises innovantes et exportatrices et en particulier de leurs fonds propres est plus stratégique que jamais au moment où elles émergent d’une crise exceptionnelle.

Le défi des équipements industriels innovants. Notre pays a un besoin urgent d’une réflexion sur le soutien aux investissements industriels stratégiques, scientifiques et technologiques, qui posent les bases des filières de demain. En matière de politique industrielle, je n’ai pas plus d’idéologie qu’en matière économique. Je crois à une vision ascendante, celle des pôles de compétitivité, qui définissent des projets sur le terrain que nous devons soutenir, y compris et surtout quand ils sont grands et ambitieux. Mais je crois aussi à la nécessité d’identifier depuis le niveau national quelques domaines majeurs, par exemple le nouvel enjeu de la croissance verte, qui requièrent la mise en cohérence des investissements publics, des achats publics, du soutien aux entreprises et de la réglementation.

Il y a quarante ans, notre pays l’a fait avec l’espace, le nucléaire ou l’équipement téléphonique du territoire. Ces nouveaux champs sont-ils aujourd’hui l’énergie solaire, les énergies marines, la fibre optique, les nanotechnologies, le stockage de l’énergie électrique, les biotechnologies ? C’est à vous d’y réfléchir, en fonction d’une appréciation objective des perspectives de ces secteurs, et du potentiel de la France à s’y imposer et y créer des emplois. C’est à vous de nous proposer les investissements appropriés pour s’y attaquer.

Je ne bornerai pas la liberté de votre réflexion à un cadre budgétaire précis. Le montant de l’emprunt national dépendra des besoins que vous allez identifier, et de la capacité d’endettement que nous aurons. Il n’y aura donc dans vos travaux d’autre limite que celle de l’utilité et de la pertinence des investissements à engager. Nombre d’entre eux, je le précise d’ailleurs, peuvent dégager des revenus financiers qui permettront de rembourser l’emprunt ou d’y associer des investisseurs privés.

La finalité ultime de ces investissements, c’est de répondre aux besoins de la France de demain. Le besoin d’avoir une activité économique suffisante, bien positionnée dans la mondialisation, qui assure aux Français un emploi, du pouvoir d’achat, et le financement de la protection sociale. Le besoin de s’adapter aux évolutions de fond qui peuvent déstabiliser la société que nous connaissons.

Plusieurs de ces tendances sont identifiées dès aujourd’hui et nous n’avons aucune excuse pour ne pas nous y préparer : le vieillissement de la population, le changement climatique, et l’épuisement des ressources naturelles, notamment le pétrole. Ce sont trois menaces que notre génération n’a pas connues et qui peuvent dégrader gravement nos conditions de vie si nous ne sommes pas prêts à y répondre. Ne serait-ce que pour conserver le niveau de vie des Français d’aujourd’hui, une action résolue est déjà nécessaire.

Mais cela ne suffit pas. Il y a encore trop de pauvreté, trop de chômage, de mal logés, trop peu de pouvoir d’achat dans notre pays. Nous pouvons et nous devons faire mieux. Nous devons accomplir la promesse que chaque génération a toujours faite à la suivante d’avoir un sort meilleur que le sien. Nos enfants ne doivent pas se retourner vers nous et nous accuser d’avoir vécu et dormi sur l’héritage des trente glorieuses sans nous donner le mal de penser au lendemain. Nous devons nous donner les moyens, dans un environnement qui sera demain, je le dis clairement, plus dur qu’aujourd’hui, non seulement de maintenir, mais d’améliorer encore notre société, ce qui commence par le volume et la qualité des biens et des services produits dans notre pays.

Voilà la mission historique qui est la vôtre. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la réaction instantanée de l’opinion ou de la presse. C’est que dans vingt ans, dans trente ans, on relise encore les conclusions de votre commission et qu’on les trouve d’actualité. Qu’on y trouve, avec le recul, le germe des projets qui auront depuis grandi, et conservé à la France son rang, sa prospérité et sa cohésion sociale. Qu’on y lise une vision, et la voie concrète de sa réalisation.

Vous l’aurez compris, j’attends beaucoup de votre réflexion et je suis impatient, comme l’est l’ensemble du pays, d’en entendre les conclusions. Je vous donne rendez-vous au mois de novembre pour une réunion de travail approfondie à l’issue de vos travaux.

Nous consulterons aussi l’ensemble des composantes de la société française et ses représentants, les parlementaires, les représentants des entreprises et des salariés, les acteurs des grands domaines d’avenir. Tous seront écoutés et entendus, mais je voudrais être clair dès aujourd’hui : nous ne pourrons pas tout faire. Chaque euro investi doit impérativement apporter à notre pays plus qu’il ne lui coûte. Il n’y a pas de place pour des dépenses de circonstance, des impératifs à courte vue, ou des palliatifs trompeurs destinés à différer les choix difficiles plutôt qu’à préparer lucidement l’avenir.

Nous ferons donc des choix, nous déterminerons des priorités qui ne seront pas la simple addition des souhaits de chacun. Et nous avons pour cela besoin que votre commission n’ait pas peur de proposer de véritables choix. Nous attendons de vous une stratégie cohérente et bien identifiée.

Comme vous le savez, depuis l’étranger, on prête à notre pays beaucoup de défauts, parfois à juste titre. Mais grâce à nos prédécesseurs, on lui reconnaît souvent une qualité : celle de savoir choisir, à l’échelle nationale, des investissements d’avenir et de les mener à bien. C’est une de nos forces. C’est à nous, grâce à votre travail, d’être dignes aujourd’hui de cette réputation.

Je vous remercie et vous souhaite bon courage dans vos travaux.

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