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Publié par Patrice Cardot

La chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel pourra-t-elle indéfiniment éviter un débat de fond sur l'Afghanistan ? Depuis le bombardement controversé de deux camions-citernes à Kunduz sur ordre d'un colonel allemand, le 4 septembre 2009, la polémique ne désenfle pas outre-Rhin. Chaque jour, les journaux apportent leur lot de révélations sur les prétendues motivations politiques de cette opération, qui a peut-être tué jusqu'à 142 personnes, dont des civils. Une commission d'enquête parlementaire vient de débuter son travail pour élucider les circonstances de cette bavure.


L'intervention des Eglises protestante et catholique dans ce débat a remis en question le sens même de la mission allemande en Afghanistan. Côté protestant, l'évêque
Margot Kässmann, présidente de l'Eglise évangélique d'Allemagne, avait suggéré, le 1er janvier au cours d'un prêche, un retrait de la Bundeswehr en proclamant que "rien n'est bon en Afghanistan". Ces propos ont fait l'effet d'une bombe. L'évêque d'Hanovre, critiquée par plusieurs responsables politiques, a pourtant eu le mérite de sortir le débat des cercles d'experts pour l'amener au sein de la société allemande. Mi-janvier, son alter ego catholique, l'archevêque de Fribourg, Robert Zollitsch, s'est joint au débat en exigeant de nouvelles décisions, "inévitables du point de vue d'une éthique chrétienne".


Plus que jamais, cet engagement militaire est impopulaire en Allemagne. Selon plusieurs sondages concordants, près des deux tiers de la population souhaite le retour des 4 300 soldats déployés sur les contreforts de l'
Hindou Kouch. Si la bavure de Kunduz a été un choc pour l'opinion publique allemande, très attachée à l'image d'une armée morale et civique, ce n'est pas seulement parce que, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, l'Allemagne avait provoqué la mort d'un grand nombre de civils. C'est aussi parce que, depuis plusieurs années, les responsables politiques, de droite comme de gauche, ont délibérément masqué la réalité sur le terrain.


La mission de la Bundeswehr consisterait à creuser des puits, à construire des écoles pour les filles... Autrement dit, les soldats allemands seraient du côté du bien. Or, à mesure que la liste des militaires tombés en Afghanistan s'est allongée - signe de la vigueur des combats sur place -, cette belle image d'Epinal s'est écornée. Le raid de Kunduz a fait voler en éclats les dernières illusions de la population sur la réalité de ce mandat.


Le populaire ministre de la défense, Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU), a tenté de donner une autre tournure au débat en évoquant une situation "semblable à la guerre", un terme encore tabou. L'armée lui en a été reconnaissante. Mais cela n'a rien changé à l'attitude du gouvernement et de la chancelière, qui ont, jusqu'à présent, soigneusement évité de se positionner sur ce sujet. Pourtant, "un nouveau consensus politique est nécessaire", soulignait, fin décembre 2009, le quotidien libéral Süddeutsche Zeitung.


Mme Merkel sait qu'elle avance en terrain miné. Près de soixante-cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale, l'envoi de militaires à l'étranger reste une affaire très délicate. Même la mobilisation de soldats allemands pour des vols de reconnaissance en Afghanistan avait donné lieu à d'intenses controverses au Bundestag en 2007. Début mai, se tiendra une élection test dans l'Etat le plus peuplé d'Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, susceptible de faire basculer les équilibres au sein de la chambre des Länder, le Bundesrat. La chancelière serait bien mal avisée d'effrayer les électeurs avec le terme de "guerre" en Afghanistan ou en associant sa personne à une augmentation du nombre de troupes combattantes. La nouvelle stratégie de son gouvernement, dévoilée mardi 26 janvier, met d'ailleurs l'accent sur la formation des forces de sécurité afghanes.


En envoyant son ministre des affaires étrangères,
Guido Westerwelle, le chef de file des libéraux (FDP), à la conférence de Londres sur l'avenir de l'Afghanistan le 28 janvier, elle évite de trop s'exposer sur ce sujet. Le chef de la diplomatie allemande préfère évoquer un scénario de retrait ou se laisse aller à des déclarations qui apparaissent peu sérieuses. Il aurait ainsi menacé de ne pas se rendre à la conférence de Londres s'il s'agissait uniquement de parler de l'augmentation du contingent des troupes. Le Parti social-démocrate (SPD), renvoyé dans l'opposition après sa défaite cuisante aux législatives de septembre 2009, s'est emparé de ce débat délaissé par la chancelière.


Lors d'une conférence du SPD, vendredi 22 janvier, son président,
Sigmar Gabriel, a réitéré son refus de soutenir une augmentation du contingent de troupes de combat, tout en réclamant une augmentation du nombre d'instructeurs. Et M. Gabriel a exigé un retrait des soldats allemands entre 2013 et 2015. Mme Merkel veut à tout prix éviter un conflit avec le SPD sur ce terrain et a fait des propositions dans ce sens. La mission de la Bundeswehr étant du ressort du Parlement, un désaccord avec le SPD enlèverait les derniers restes de légitimité aux troupes allemandes. Et il ne manquerait pas d'entamer la popularité de la chancelière.

 

Cécile Calla est correspondante du quotidien Le Monde à Berlin


Courriel : calla@lemonde.fr

Voir également sur ce blog à propos de l'Afghanistan :
 * Washington prêt à soutenir un plan de réintégration des taliban (Reuters) ;
 * Le rapprochement avec les taliban appuyé à l'Ouest, dit Karzaï ;
 * Le Pakistan tend la main aux taliban afghans ;
 * Embrasements en cascades : quelques interrogations toujours sans véritables réponses ! - nouvelle édition - ;
 * La conférence de La Haye embrasse la stratégie d'Obama pour l'Afghanistan, selon l'AFP.






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