Les militaires européens souhaitent-ils vraiment une politique de sécurité et de défense commune européenne qui ne se limiterait pas à un 'simple' pilier européen de l'OTAN ? (nouvelle édition
Une telle question n'est pas anodine quand bien même les choix stratégiques et politiques des autorités
gouvernementales compétentes en pareille matière ne se limitent naturellement pas aux seules analyses et recommandations des états-majors militaires !
Car comment les autorités politiques pourraient-elles, en responsabilité, ne pas tenir pleinement compte de ces éléments lorsqu'elles décideront de doter la
politique de Sécurité de l'Union d'un véritable concept stratégique, ou tout au moins un concept stratégique pour la politique de sécurité et de défense commune - PSDC - (cf. Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : dispositions générales inscrites dans le traité de Lisbonne ) qui ne se
confonderait pas avec celui de l'OTAN ?
Les liens professionnels et opérationnels qu'entretiennent les militaires européens avec leurs homologues non
européens de l'OTAN constituent à cet égard une donne importante qu'il est bon de garder à l'esprit. Or force est de reconnaître que ces liens sont particulièrement étroits ; ne
serait-ce que parce que, d'une part, leurs systèmes de formation comportent des phases qui se déroulent aux Etats-Unis, parce que, d'autre part, nombre d'exercices majeurs et
d'opérations auxquels les militaires européens participent se déroulent dans le cadre de l'OTAN et/ou en présence de forces américaines, et, enfin, parce que de
nombreuses fonctions opérationnelles et techniques requièrent un usage de systèmes (GPS, par exemple), d'équipements, de matériels et/ou de technologies américains qui est lui-même
soumis à des protocoles et/ou procédures contraignants nécessitant soit la participation de structures américaines dans la mise en oeuvre desdits moyens, soit des autorisations
d'emploi de la part des autorités américaines !
L'exigence d'interopérabilité entre les forces européennes et les autres forces opérationnelles de
l'OTAN qui domine le fonctionnement de cette Organisation est, assure-t-on ici ou là, à ce prix.
La communauté de cultures, à la fois professionnelle,
technique et opérationnelle, qui en résulte participe à renforcer la solidarité déjà très forte qui est inhérente à la communauté d'arme qui se développe naturellement, depuis des
générations, entre les militaires d'une même arme (terre, air, mer, gendarmerie, service de santé) mais de nations différentes, et davantage encore, entre ceux qui utilisent un même matériel
(avion de combat ou de transport, hélicoptère, char, etc.) au sein de nations alliées.
De cette solidarité nait naturellement un désir de prolonger dans
les doctrines d'emploi, voire même dans les politiques de défense, ces liens " communautaires " aussi stimulants pour les personnels concernés que nécessaires sur le plan de
l'efficacité opérationnelle à chaque fois qu'une opération militaire donne lieu à une intervention de l'OTAN, ou de forces multinationales ad hoc qui mettent en présence, côté à
côte, des membres (forces de combat, états majors) de cette même " communauté ".
Dès lors, il n'y a rien de surprenant à constater un réel
engouement des personnels officiers des différents marines et armées de l'air européennes pour le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l'OTAN, ou pour que les
représentants militaires des Etats auprès de l'UE soient également les représentants militaires auprès de l'OTAN, ni même d'ailleurs. Comme pour la synchronisation des processus de planification
de l'OTAN et de l'UE (cf. La synchronisation
des processus de planification de l'Otan et de l'UE est à l'étude ).
Dans un tel contexte, est-il véritablement encore possible d'envisager de doter
l'Union européenne d'une politique de sécurité et de défense commune qui ne se réduirait pas au seul pilier européen de l'OTAN ?
Est-il encore possible
d'envisager que l'Union dispose d'une base technologique et industrielle de défense qui soit sinon " européenne ", tout au moins " autonome " et " compétitive ", si tant est que ces
qualificatifs puissent faire vraiment sens pour des entreprises dont soit la structure du capital, soit les matériels et les technologies les plus critiques utilisés dans les systèmes et
équipements qu'elles développent et commercialisent, soit les perspectives de développement, soit les lieux de production, soit les localisations effectives de leurs bénéfices
imposables comportent une dimension non européenne " significative " qui est probablement appelée à croître non seulement en raison des contraintes budgétaires drastiques qui
pèsent sur les marges de manoeuvre des Etats européens concernés en matière tant d'investissements (programmes, politique industrielle, etc.) que d'équipements, de formation et
d'emploi des forces ?
Est-ce possible alors même que les dirigeants politiques européens développent aujourd'hui un tropisme transatlantique qui tend parfois à les rendre plus sourds aux appels
des européistes qu'aux chants de la sirène de Copenhague ... et que les " états-majors " des grandes sociétés industrielles " européennes " de défense s'emploient à
créer des rapprochements stratégiques avec leurs homologues américains qui vont bien au-delà des rapprochements commerciaux conjoncturels inhérents aux procédures
d'acquisition en vigueur aux Etats-Unis pour les marchés militaires ?
De telles interrogations sont d'autant plus opportunes que la mise en
oeuvre du Traité de Lisbonne ouvre la possibilité à des options alternatives qui dépendent principalement à la fois de la manière dont sera établie la coopération structurée
permanente inscrite au traité (cf. Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : La coopération structurée
permanente (CSP) ), et le concept stratégique pour la politique de sécurité de l'Union qui fait toujours cruellement défaut au projet politique européen, le document actualisé établissant une
" stratégie européenne de sécurité " ne pouvant en aucune manière être considéré comme tel (cf. Les limites actuelles de la
dynamique de l'Union européenne relative à la Sécurité (1) - nouvelle édition - ainsi que Les limites actuelles de la dynamique
de l'Union européenne relative à la Sécurité (2) - nouvelle édition - ), loin s'en faut !
Quel poids auront les militaires européens dans les
décisions qui seront prises à ces différents égards par les autorités politiques et diplomatiques ? Et quelles positions adopteront-ils alors ? Bien malin celui qui oserait prétendre le
savoir dès aujourd'hui ! L'Histoire est pleine d'enseignements quant à l'intervention de belles surprises " stratégiques " là où d'aucuns étaient pourtant catégoriques dans leurs intuitions et
leurs certitudes quant à l'attitude supposée des militaires !
Nous nous garderons donc de pronostiquer ici quelque réponse que ce soit !
Pour autant, sur le fond, comme le rappelle Jean-Claude Casanova (cf. Le temps est venu pour l'Europe de s'émanciper des
Etats-Unis, par Jean-Claude Casanova ), un rapport paru en novembre 2009, " Towards a Post-American Europe : A Power Audit of EU-US Relations, ECFR ", de Jeremy
Shapiro et Nick
Witney, d'un institut de recherche européen, European
Council on
Foreign Relations, qui veut être à l'Europe ce qu'est à
l'Amérique le vénérable Council on Foreign Relations de New York, un réservoir à idées en politique étrangère, ouvre une piste intéressante.
" [...] L'idée centrale de ce rapport est que les Européens ne comprennent pas que le monde a changé : l'ère est
désormais "post-américaine". La fin de la guerre froide et la mondialisation font que l'Amérique ne domine plus l'Europe. Il faut donc passer de la domination au partenariat. La nouvelle
administration américaine offre cette occasion. Aux Européens de la saisir.
Comment ? En renonçant d'abord à leurs illusions, avance ce rapport. Il serait en effet illusoire de penser que l'Amérique garantit encore la sécurité de l'Europe
(sans doute parce que la menace a disparu), qu'elle obéit toujours aux mêmes intérêts que nous, que nous devons préserver comme un trésor notre relation étroite et harmonieuse avec elle au point
de renoncer à nos objectifs propres, qu'il faut éviter de se coaliser entre Européens face aux Etats-Unis pour sauver la relation spéciale que chaque pays imagine avoir noué avec eux. En
obéissant à ces faux principes on devient complaisant ; on empêche l'Europe de défendre ses positions et on prive l'Amérique d'un véritable partenaire.
Le réalisme commanderait donc aux Européens de se comporter en politique comme
ils savent le faire pour l'économie ou le commerce, c'est-à-dire de parler d'une seule voix, après s'être mis d'accord entre eux. C'est la recommandation essentielle du rapport, les problèmes
institutionnels seraient secondaires. Il faut vaincre nos habitudes de déférence et en finir avec les relations bilatérales entre pays européens et Etats-Unis.
Ne doit-on pas objecter que la détermination réfléchie des hommes compte, mais
que les institutions comptent peut-être davantage parce qu'elles obligent et parfois élèvent les hommes ?
Si l'Europe existe en matière de commerce et de monnaie, c'est parce qu'un traité a fait de l'Union une
puissance commerciale capable de négocier avec les autres puissances du globe et parce qu'un autre traité a créé la zone euro et une institution fédérale, la Banque centrale européenne (BCE), qui
gère une monnaie devenue en dix ans la seconde monnaie mondiale. Cela admis, le rapport a raison de considérer que la tisane transatlantique servie à profusion endort tout le monde et que les
Européens doivent prouver leur existence par d'autres moyens que par des propos supra-célestes et des manoeuvres bilatérales souterraines.
Pour le démontrer, le rapport décrit avec cruauté le comportement américain qui
découle des faiblesses européennes. Sur les grandes questions géostratégiques comme l'avenir de la Chine, l'Amérique ignore purement et simplement l'Europe. Brant Scowcroft, l'ancien conseiller
des présidents Ford et Bush père, était allé plus loin : " Les Européens sont stratégiquement épuisés ", avait-il énoncé. Sur le Proche-Orient, où les Européens ont des positions fortes et
divergentes, l'Amérique agit à part, marginalise ou instrumentalise l'Europe. Sur l'Iran et l'Afghanistan, en revanche, comme le consensus européen est élevé, les Etats-Unis collaborent avec
l'OTAN ou l'Union européenne. Sur la question russe qui concerne l'Europe avant tout, les Européens sont partagés, l'Amérique divise et règne, tantôt elle installe des défenses antimissile en
Pologne, tantôt elle les retire sans demander l'avis du reste de l'Europe.
Sur trois questions spécifiques : la Russie, le Proche-Orient et l'Afghanistan, le rapport montre que les Européens pourraient et devraient concevoir leur
propre stratégie, parce que, dans ces parties du monde, ils ont des intérêts, des compétences et des moyens d'action [qui leurs sont propres]. Ils en débattront ensuite avec les Américains pour
s'accorder avec eux ou pour s'en séparer si les opinions ne se concilient pas. [...] ".
Dont acte !
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Cet article a été publié une première fois en janvier 2010