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Publié par Jean Poche

S'exprimant après la dégradation de la note de crédit française par l'agence Standard and Poor's (S&P), François Hollande déclarait vouloir relancer "l'idée d'une agence publique européenne de notation". Un tel projet dresse en creux la critique du modèle des grandes agences de notations privées. Pourtant, en matière de notation souveraine, la liste des reproches traditionnels formulés à l'encontre des agences, se retourne aisément contre le concept même d'une agence publique, dont le modèle ne va pas de soi.

Car c'est d'abord l'indépendance des agences qui fait l'objet de toutes les critiques et d'une partie des réformes imposées par nos régulateurs. Payée par les émetteurs qu'elles notent, on le sait, les agences sont soumises de ce fait à un fort conflit d'intérêt. Mais en matière de notation souveraine, l'exception fait loi, et nombre d'Etats – à l'instar de la France – ne paient pas pour être noté.

A l'inverse, comment ne pas imaginer le conflit d'intérêt, véritable conflit de loyauté, auquel serait soumise une agence publique, émanation des Etats souverains qu'elle serait censée noter ? On peut à cet égard s'étonner que les Etats souverains – dont les prérogatives englobent pourtant la régulation financière – ne songent à proposer un modèle alternatif à celui des agences qu'au moment où ils se trouvent eux-mêmes soumis à leur feu. Les carences des agences dans la crise des subprimes auraient pourtant justifié depuis longtemps des réformes décisives. Sa crédibilité entachée, l'Etat souverain régulateur sera d'autant moins crédible qu'il proposera de se noter lui-même.

Et pourtant, en effet, il est plus que nécessaire d'introduire un modèle alternatif dans une concurrence faussée par le conformisme, l'incurie et la mauvaise foi, sur le marché de ce bien public qu'est l'évaluation du crédit. L'idée d'une agence publique est donc rien moins qu'absurde mais pour être crédible, elle devra garantir l'indépendance absolue de ses agents. Il existe des modèles, celui de la Banque centrale européenne ou, mieux, celui du FMI : pourquoi se limiter au cadre institutionnel européen face à des acteurs privés largement mondialisés ?

MODÈLES ALTERNATIFS

Dans la myriade de critiques, parfois contradictoires, formulées à l'encontre des agences de notation, la principale devrait viser leur incapacité à formuler des opinions différentes de celles déjà exprimées la cotation des marchés. La crise souveraine en cours, illustre à quel point, en ajustant sans cesse leurs notes, les agences n'apportent aucune information nouvelle, aucune perspective différente de celles des marchés dont elles répliquent la volatilité des cours. Il est donc impératif de redonner au système financier les instruments d'une analyse fondamentale et de long terme qui ne se confondent pas avec les données unidimensionnelles du marché.

En matière d'innovation intellectuelle, tout reste donc à inventer. En remettant l'imagination au pouvoir, on peut dresser la liste de ce qu'un modèle alternatif devra viser, et proposer des pistes d'exploration. Pour concilier l'excellence et l'innovation, en évitant le mimétisme du microcosme financier, il faudra par exemple s'appuyer davantage sur la formation et la recherche universitaire, dont François Hollande a raison de faire une priorité budgétaire dans son programme de crise.

En proposant un point de vue critique, original, complémentaire ou dissident, une "contre-agence" redonnera toute leur responsabilité à ceux qui utilisent les opinions de crédit et qui portent aussi leur part de responsabilité dans la crise que nous traversons. Car la réforme du système financier imposera aussi de modifier la façon dont ses acteurs gèrent et évaluent leur risque, en leur imposant une obligation de moyen : celle de prendre en compte des modèles alternatifs.

Oui, François Hollande a raison de vouloir proposer un contre-pouvoir. Il est trop tard pour songer à régler la crise actuelle par un changement d'arbitre. L'heure est à l'approfondissement de la solidarité européenne. Mais la réforme du système financier ne devra pas oublier le rôle des principaux agents par des nouveaux paradigmes dans l'intérêt de la transparence financière et de l'équité économique. Faire face à la crise avec responsabilité n'interdit pas de commencer à réfléchir à ce que seront les nouvelles institutions du système financier mondial de demain. Il est urgent d'y réfléchir.

 

Samuel Didier est analyste senior d'une grande agence de notation en Europe.

 

 

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