Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (1)
L'Union européenne, qui ne dispose pas de l'ensemble des attributs de sa souveraineté ni même d'une puissance publique européenne en mesure d'en faire une Union politique pleine et entière, semble impuissante face aux atteintes qui sont portées régulièrement à sa sécurité, à sa stabilité et à sa prospérité, parfois même de façon délibérément velléitaire.
Malgré les effets douloureux - et parfois persistants - que ces atteintes ont ou peuvent avoir non seulement sur sa prospérité, sur son commerce, sur son autonomie stratégique, mais également sur les amortisseurs sociaux et sur les stabilisateurs automatiques de ses Etats membres, ainsi que sur l'emploi, sur le développement humain, sur la santé autant que sur le moral de ses citoyens, elle semble n'avoir pas encore entrepris la réflexion stratégique que lui imposent les menaces et les risques qui pèsent notamment sur sa monnaie, sur la dette souveraine de ses Etats membres, sur son modèle d'économie sociale de marché, sur son modèle de démocratie, sur son industrie - notamment, à son industrie stratégique - , sur son patrimoine technologique, sur son patrimoine naturel, sur la sécurité humaine de ses citoyens, etc..
La récente évolution du contexte mondial et les engagements européens forts pour une mondialisation maîtrisée plaident en faveur d’une analyse prospective des tendances qui structurent l’environnement international, des tensions qui vont le structurer dans les prochaines décennies et des transitions que l’Europe pourrait contribuer à impulser.
Quel décideur politique en responsabilité en Europe peut prétendre ignorer les effets sur la situation actuelle de l'Union européenne de la crise financière systémique, des risques de défaillance de plusieurs Etats européens vis-à-vis de leur dette souveraine, des agressions à visées spéculatives autant que stratégiques qui affectent l'euro ? Et pourtant, l'Union s'est-elle équipée pour y faire face ave l'efficacité attendue ? (cf. notamment à cet égard l'article en deux parties relatif à la spéculation contre les Etats : Que peuvent les Etats contre la spéculation ? Adrien de Tricornot - 1- (Dossier - Le Monde Economie) et Que peuvent les Etats contre la spéculation ? par Adrien de Tricornot - 2- (Dossier - Le Monde Economie) ainsi que les articles intitulés A quel moment va-t-on renforcer la sécurité monétaire de l'euro et la sécurité économique et financière de la zone euro ? ; UEM : Etablir des instruments supplémentaires n'est pas suffisant ! Il faut aller plus loin tant au niveau doctrinal que sur le plan institutionnel ! - première partie - ainsi que UEM : Etablir des instruments supplémentaires n'est pas suffisant ! Il faut aller plus loin tant au niveau doctrinal que sur le plan institutionnel ! - seconde partie - et bien d'autres encore ).
Dans cette optique, l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne a entrepris dès 2007 sous la direction de Nicole Gnesotto et de Giovanni Grévi un remarquable exercice de prospective qui pointait clairement les défis auxquels les Européens devaient se préparer à faire face (cf. le-monde-en-2025-report fr )
Dès 2005 et 2006, dans le cadre d'un mandat officiel, j'avais déjà entrepris une analyse collective associant nombre d'experts européens pour analyser ce que pourraient/devraient être les nouveaux fondements de la sécurité européenne dans la perspective d'un changement de paradigme en Europe dans le sens d'une véritable transformation de l'Union européenne en Union politique pleine et entière.
Et pourtant ... En 2011, si l'on ne se base que sur sa seule stratégie de sécurité, l'Union européenne persiste à n'envisager comme défis et menaces majeurs auxquels elle s'emploiera à apporter des réponses que les seuls 7 éléments suivants :
- la prolifération d'armes de destruction massive,
- le terrorisme et la criminalité organisée,
- la cybersécurité,
- la sécurité énergétique,
- les conséquences du changement climatique,
- les conflits régionaux,
- les Etats en déliquescence
(cf. le rapport du Conseil sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité intitulé « Assurer la sécurité dans un monde en mutation » SES 104632).
Ces mêmes éléments constituent également les " mobiles " - affichés - des stratégies de sécurité nationale d'Etats membres occupant une place centrale dans la Politique de Sécurité de l'Union, le Royaume-Uni et la France ! Ainsi que le noyau dur des menaces auxquelles l'OTAN s'emploie désormais aussi à apporter des réponses collectives ...
Est-il encore nécessaire de reservir les mêmes analyses pour souligner la nécessité de ne pas focaliser une stratégie comme la stratégie européenne de sécurité qui vise à établir un système européen global de sécurité sur des priorités pour une bonne part marginales en regard des véritables défis pour la sécurité de l'Europe ?
Les très modestes aménagements apportés à la stratégie européenne de sécurité à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au cours du second semestre 2008 ne changent rien à la donne.
Si la politique de sécurité de l'Union européenne n'a pas - et ne doit pas avoir - pour vocation d'embrasser l'ensemble des défis pour la sécurité, il n'en est évidemment pas de même de sa stratégie de sécurité ! Laquelle doit se décliner ensuite dans des politiques et instruments appropriés.
Pour autant, ces choix sont-ils réellement pertinents dès lors que sa stratégie de sécurité est censée embrasser l'ensemble des défis stratégiques et de sécurité qui mettent en péril les grands équilibres de l'Europe et du monde ?
Comment peut-on en juger ?
En premier lieu, on se doit de reconnaître que ne plus envisager la sécurité de manière parcellaire et éclatée constitue indubitablement une innovation stratégique considérable dont seule une organisation " régionale " comme l'Union européenne semble capable.
Son souci de prendre pleinement en compte à la fois la globalité et l'indivisibilité de la sécurité doit être inscrit à son actif !
Pour autant, la sécurité ne peut être limitée aux seuls registres qui nécessitent l'intervention, même combinée, du diplomate, du militaire, du juge, du policier de l'humanitaire et du pompier !
De même, elle ne peut se limiter à des actions de gestion in situ et a posteriori de crises ! En tout cas pas lorsqu'on l'aborde au travers d'une analyse stratégique !
Un joueur d'échec ou un joueur de go pense ses coups avec anticipation ! Le meilleur étant celui qui anticipe le mieux, c'est à dire avec le plus grand nombre de coups d'avance non seulement pour son propre jeu mais également pour le jeu de son partenaire et/ou adversaire !
Si l'on aborde ce sujet sous un angle économique, qu'observe-t-on ?
Partie prenante du système de gouvernance multilatérale en cours de mutation, l'Union européenne souscrit pleinement aux grands orientations économiques et commerciales actées au niveau mondial et confirmées à Toronto, en juin 2010, par le G20 (cf. à cet égard Retour sur le G20 de Toronto : réaffirmant leur engagement en faveur du libre-échange, les économies du G20 estiment " avoir fait le bon choix " ). Mieux encore, elle en développe les ressorts avec un zèle qui parfois inquiète, surtout les plus vulnérables des européens.
L'économie qui s'est développée autour de la sécurité semble s'être davantage centrée sur les objectifs et les investissements attachés à la couverture des risques par la garantie financière (cf. à cet égard De l'économie de l'insécurité ! ), à "l'intervention", à la "réparation" et/ou à la "reconstruction" plutôt qu'à ceux, nettement plus efficients et efficaces, qui devraient être attachés à "l'anticipation / connaissance", à la "prévention", à la "dissuasion" ou à la "protection" !
En dehors d'un système des Nations Unies dont l'inefficacité se montre de plus en plus redoutable ..., qui a vraiment le souci des économies, y compris en termes de souffrances, en termes moraux et éthiques, ou de ressources financières ?
On dénombre, pleure et déplore chaque année des victimes de phénomènes violents par centaines de milliers, des destructions qui ruinent les économies, des interventions internationales humanitaires qui râclent les fonds de tiroirs de pays et d'organisations à court de trésorerie .... Mais qui oserait prétendre que ces catastrophes n'étaient pas prévisibles ?
A quoi servent les études d'experts si ce n'est que de prévenir pour que ceux qui ont mandat d'anticiper anticipent, pour que ceux qui ont mandat de prévenir préviennent, pour que ceux qui ont mandat de dissuader dissuadent, pour que ceux qui ont mandat de protéger protègent !
Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique ( Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique ) !
La gesticulation stratégique l'emporte trop souvent dans le monde sur l'anticipation stratégique autant que la communication politique l'emporte sur l'action politique ! En Europe peut-être un peu moins qu'ailleurs .... mais j'aimerais en être réellement convaincu !
Et pourtant ...
Le Global Risk Report 2009 réalisé pour le compte du Global Risks Network dans la perspective de l’édition 2009 du Forum économique mondial de Davos (cf. http://www.weforum.org/pdf/globalrisk/globalrisks09/) identifie 36 risques globaux répartis entre en 5 catégories (risques économiques, géopolitiques, technologiques, sociétaux, environnementaux) qui font l’objet d’une évaluation qualitative dynamique détaillée
(cf. http://www.weforum.org/pdf/globalrisk/globalrisks09/the_risk.htm).
Il insiste sur le fait que ces risques ne se manifestent pas isolément : les facteurs qui concourent à leur développement, leurs facteurs déclencheurs et leurs conséquences sont interconnectés.
Pour mettre en évidence ces interconnexions, ce rapport établit une matrice de corrélations entre les risques
(cf Figure 2 : http://www.weforum.org/pdf/globalrisk/globalrisks09/the_global.htm)
Il propose également une cartographie des risques globaux qui croise les facteurs ‘vraisemblance’ et ‘sévérité’ (ce qui fait sens en regard de l’équation classique définissant le risque : le risque est égal au produit du danger potentiel par une probabilité d’occurrence d’un événement donné et par l’intensité des conséquences) ainsi que des études centrées sur des questions plus spécifiques (cf. Figure 3 http://www.weforum.org/pdf/globalrisk/globalrisks09/the_global.htm).
Enfin, s’appuyant sur des travaux réalisés par les services financiers de Zurich, il présente une évaluation de l’exposition de 160 pays à 24 risques globaux identifiés dans leur rapport.
Les Global Risk Report 2010, Global Risk Report 2011 et Global Risk 2012 confirment, complètent et renforcent ces analyses ( cf. globalrisks2010 ; global-risks-2011 ; WEF GlobalRisks Report 2012 ).
Outre les considérations déjà évoquées dans un article publié dans la revue Défense en juillet 2008 ( Du réexamen de la stratégie européenne de sécurité-jui) et un autre publié sur ce blog le 14 février 2009 (cf. De l'impuissance !) qui gardent toute leur pertinence et leur actualité - et qui demandent que leur soient apportées des réponses appropriées le moment venu -, la mise entre parenthèses de la plus grande part de ces risques globaux par ceux qui ont pris le parti de limiter les ambitions qui ont présidé à l'établissement de la stratégie européenne de sécurité - comme celles qui ont présidé à l'établissement des stratégies de sécurité nationale - à des menaces qui font certes consensus avec le grand partenaire américain mais sont loin de recouvrir la totalité du spectre des menaces et risques pour l'ensemble des défis de la sécurité nationale, de la sécurité européenne autant que de la sécurité internationale, a un coût politique, stratégique, économique, écologique, social et humain considérable.
Sur un tout autre registre, mais tout aussi essentiel, celui de la protection des intérêts publics, là encore, l'alerte est donnée pour des registres aussi importants que peuvent l'être les sept domaines critiques suivants de la politique publique mondiale : droits fondamentaux et libertés, gouvernance de l'Internet, accès aux médicaments, portée et nature des droits de propriété intelelctuelle, commerce international, législation internationale et institutions, processus démocratique.(cf. notamment à cet égard Soutenu par une douzaine de députés européens, un panel d'experts internationaux juge que l'ACTA menace les intérêts publics ).
Les Européens ont le droit de savoir comment l'Union européenne entend agir à l'égard de tels risques dont les effets dévastateurs n'épargneront ni leur territoire ni leurs intérêts ! Or, la stratégie européenne de sécurité reste totalement muette à leur égard !
Depuis l'échec du processus d'adoption du Traité instituant une Constitution pour l'Europe, les Citoyens européens n'ont cessé d'entendre dans la bouche de leurs dirigeants, nationaux et européens, que l'Europe était là pour les protéger !
L'actualité quotidienne de ces mêmes citoyens ne les poussent pas à en être absolument convaincus comme ils ne sont pas pleinement convaincus non plus de la sincérité des buts publiquement affichés pour l'intervention en AFPAK (Afghanistan - Pakistan) et, partant, de l'intérêt stratégique d'être impliqués dans un conflit armé aux finalités et à l'issue des plus incertaines.
Primo, non seulement cette situation ne permet pas à l'Union de faire de sa stratégie de sécurité un instrument stratégique susceptible d'apporter à la fois une cohérence doctrinale et une efficience accrue aux politiques de souveraineté de ses Etats membres, mais elle lui interdit également de se donner la capacité d'agir en acteur global véritablement maître du destin d'un pole stratégique européen en interrelation, et en compétition, avec d'autres pôles stratégiques dans un monde qui se réorganise inexorablement, et très rapidement, en un " système multipolaire aux ressorts interpolaires ", en même temps qu'elle lui interdit de se doter des politiques et des instruments qu'elle a l'obligation politique, juridique, démocratique et morale de mettre, en responsabilité et sans faille, au service de l'assurance sécurité de ses propres citoyens !
Secundo, combinée aux réserves que manifesteront indubitablement les Etats membres à l'égard de toute tentative de communaliser/mutualiser au niveau européen les réponses à ces différentes natures de risques et menaces en regard des exigences d'autonomie de leurs propres politiques de souveraineté, cette situation aura pour effet d'interdire les bénéfices attendus en termes d'intégration politique, d'efficacité opérationnelle et de rationalisation (masses critiques, économies d'échelle, etc.), condamnant l'Union à n'être soit qu'un simple " acteur de niche ", soit qu'un " acteur de second échelon " à la remorque d'autres acteurs globaux souverains sur le double registre stratégique et de la sécurité (cf. à cet égard Jusqu'à quel niveau d'intégration l'agenda transatlantique nous entraînera-t-il, sans aucun débat démocratique ? ; L'Union européenne cède à toutes les exigences des Etats-Unis, même à celles qui sont contraires à ses principes les plus fondamentaux ainsi que Bâtir une défense commune pour assurer l’autonomie politique et stratégique de l’Union européenne ! Du constat d’absence d’un tel projet politique dans l’agenda européen ! ).
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La suite de cet article : Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (2)
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